J’ai envie sur cette plateforme de laisser la place aux gens qui m’inspirent.
Des collègues de travail, qui deviennent au fil du temps des amis. Jordan Dupuis collabore à mon émission Bien depuis ses débuts. J’ai fait sa rencontre quand j’animais mon émission « C’est extra », il était recherchiste. Un homme brillant, allumé et siiiiii intéressant avec un humour et une ouverture d’esprit unique. Genre de gars qu’on aime tout de suite!
Pour lui, cette période de confinement et cette pandémie sont sans contredit un choc sismique dans nos vies, une fracture dans notre écosystème et un débalancement à tous les niveaux. Émotionnel, physique, professionnel, psychologique. Je vous invite à apprivoiser l’incertitude avec lui.
Depuis le début de la situation, j’ai généré une foule d’émotions que je ne croyais plus qui m’habitaient. Peur, angoisse, incertitude, anxiété, tristesse… De grandes journées de mélancolie qui, comme une brume nuageuse, englobe tout du matin au soir, faisant fi des heures qui passent et me laissant dans une léthargie et une solitude lourdes à porter.
Ne pas savoir comment payer le loyer, ne pas savoir ce qu’il adviendra de ma carrière, l’idée de choper le virus ou de le transmettre etc. L’incertitude dans sa plus pure forme. La vraie, celle sur laquelle nous n’avons pas de contrôle et celle qui nous pousse à nous remettre en question quand tout roulait et suivait son cours il y quelques semaines à peine.
Pour me sortir la tête de l’eau, j’ai choisi de le nommer à mes proches et mon thérapeute et de quotidiennement, faire une action personnelle, aussi petite soit-elle, pour me connecter avec ce Jordan que j’étourdissais tant. Je ne parle pas ici de faire du pain pour une famille de quatre ou un grand ménage de garde-robe, tout cela encore ancré dans la productivité. Je parle ici de ressortir de vieux cds et de me replonger dans des univers musicaux que j’avais oublié, de m’installer dans le canapé et refuser de regarder mon cellulaire et mes réseaux sociaux pour une durée déterminée, de prendre une douche trois fois plus longue que d’habitude ou de me «lover», quelques pages à la fois, dans un roman que je n’avais pas eu le temps de lire. Des gestes banaux, super psycho-pop et clichés, mais qui, dans les circonstances actuelles, me procurent un bien immense.
Je suis conscient que de prendre une douche de 35 minutes ne réglera pas le sort de la pandémie, mais cet instant où l’eau chaude me réconforte et me masse le crâne, je ne pense plus à celle-ci, je ne me projette plus et je pèse sur pause. C’est cette trêve qui fait justement tant de bien. Une trêve où je ne réfléchis pas et où tout s’arrête, immobile.
Je tente, car c’est un exercice quotidien, de canaliser cette incertitude en temps pour moi, en temps zéro, en pause assumée et nommée. Aussi futile cela semble être, cet exercice quotidien du bon vieux et ô combien stéréotypé «lâchez prise» est challengeant et franchement difficile. Pourquoi je ne profite pas de ce confinement pour écrire ce livre que je souhaite tant? Pourquoi, puisqu’il fait beau, je ne suis pas en train de faire mes plates-bandes? Pourquoi je ne repeins pas l’entrée comme je souhaite faire depuis trois ans? De petites micros pressions que l’on se met sur les épaules pour être dans l’action quand nos vies sont sur pause. Rendre ce confinement productif coûte que coûte et se sentir obligé de transformer cette incertitude en direction et de se redéfinir au plus vite.
Se sentir coupable d’être triste quand on meurt dans les CHSLD, se sentir inutile quand on regarde les millions de photos de bagels maisons de nos amis sur Instagram, se sentir sans fonction et sans réel plan, quand au final, rien ne nous y oblige mis à part nous. J’ai envie de vivre cette incertitude et mes émotions comme si j’ apprivoisais un animal sauvage qui tranquillement deviendra doux et baissera sa garde.
J’ai aussi choisi de ne pas envisager ce confinement sur une semaine, mais sur 48 heures, ne me mettant ainsi aucune pression inutile, tant émotionnelle que de performance. J’ai, à grands coups de larmes et de Facetime un brin pompette, choisi a mon rythme d’accueillir ces nouvelles émotions que j’ai parfois de la difficulté à nommer, chose nouvelle pour moi, gars qui nomme et analyse tout et qui est somme toute en contrôle de ma vie et de mes émotions. Du moins je l’étais.
Je ne planifie donc plus d’apéros zoom dans trois jours, car je n’ai pas envie de devoir mettre mon masque de clown heureux avec mon verre de vin, devant à tout prix être en forme et festif pour ce «party» virtuel.
Pression émotionnelle de trop, pression de performance, pression d’être «bubbly» pour les autres, car c’est la fonction que j’ai toujours eue dans mon cercle social. Je ne sais pas comment je me sentirai dans trois jours et c’est parfait ainsi. J’aurai les émotions que j’aurai à ce moment-là et les vivrai. Avoir de l’empathie et de la compassion envers soi, c’est que je veux travailler.
Juste être là, témoin de ce que je ressens et de cesser de vouloir nommer le tout et le guérir. Le temps fera son œuvre, le soleil d’été reviendra et le brouillard se dissipera. Et si celui-ci reste, nous pourrons mieux naviguer dedans, à tâtons certes, mais tout de même.
J’essaie de voir ce vide que l’on ne connaît pas comme une forêt à découvrir et dans laquelle je n’ai pas le choix de m’aventurer, la situation actuelle nous y poussant. Inévitablement. Accepter de me sentir ce matin «comme de la marde», accepter de m’ennuyer de tout, accepter l’inacceptable et reconnaître ce sentiment qu’on est en train de se faire voler nos vies par la Covid.
Accepter ce qu’on vit, mais pas forcément comprendre. C’est cela «apprivoiser l’incertitude» …
– Jordan